Actualités : La petite fille et le train

Suzanne Gauthier-Barou

La petite fille et le train
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La petite fille et le train
Suzanne Gauthier-Barou

Ah ! Le train ! Cette énorme machine noire qui faisait un bruit effrayant, qui me terrifiait tant elle crachait ce que j’appelais de la fumée mais qui n’était sans doute que de la vapeur d’eau !
Les souvenirs sont simples et grâce à ces quelques lignes, je vais tenter de raconter, de décrire, combien ils m’ont à jamais manqués. Je n’ai rien oublié, ni le bruit, ni les images, ni les odeurs. Je les retrouve intacts dans ma tête, dans mon cœur !
Mon père avait une sœur, Adeline, qui avait épousé un maçon de l’Aude, venu à Lavelanet pour réparer le clocher de l’église. Tonton, puisque c’est ainsi que je l’ai toujours appelé,
Tonton Armand me disait toujours :
« Tu vois magnague, cette croix, en haut du clocher, c’est moi qui l’ai posée ! »
Pensez si j’étais fière… Tonton avait su mettre cette croix si haut, si haut ! C’était un vrai héros !
Tonton est tombé amoureux de ma tante Adeline qui habitait avec ses parents dans l’Ille, de l’autre côté du Touyre. Ils se marièrent et partirent habiter chez Tonton à Saint-Hilaire dans l’Aude.
Un jour, papa décide d’aller leur rendre visite en train. J’avais quatre ans. Pas de ligne d’autobus dans cette partie du pays entre l’Ariège et l’Aude. Nous allons donc partir vers le beau village de Saint Hilaire. La joie inonde mon cœur à l’idée de retrouver Tonton et Tatie.
Donc un matin, autour de huit heures, nous voici sur le pied de guerre !
Maman m’avait revêtue d’une jolie robe de vichy, à carreaux bleus et blancs, deux petits rubans au niveau des épaules, des socquettes blanches, des chaussures blanches avec une lanière sur le coup de pied, portant une boutonnière à l’extrémité, permettant d’ « arrimer » solidement le soulier à un bouton judicieusement cousu. Ainsi le soulier ne quittait jamais le pied !
Au revoir la Rue des Marchands ! Au revoir l’Impasse des Moulins ! Bonjour le Quai National, et direction la gare.
Papa portait une panière dans laquelle maman, prévoyante, avait préparé de quoi nous restaurer en cours de route car elle savait que le chemin serait long.
Nous voici arrivés sur le quai de la gare. Je serrais très fort la main de papa, tremblante, effrayée par la grosse machine crachant de la « fumée » et que papa a appelée la locomotive.
Nous nous hissons dans le train. Je ne saurais dire si des « classes » existaient dans ce train. Nous étions assis sur des banquettes en bois dont les planches étaient étroites, brillantes, d’une belle couleur brun clair. Cette banquette était particulièrement glissante.  Maman installe la panière sous mon siège. Et moi, le cœur battant la chamade, tremblante, j’attends.
Le train démarre, ça y est… Au premier coup de frein, je « gicle » littéralement de mon siège pour, brutalement, atterrir sur la banquette vide face à nous. Ce fut rapide ! Bien qu’ayant une douleur au genou et une autre au bras, je n’en ai rien dit ne voulant pas inquiéter mes parents. Maman reproche à papa son manque de prudence. Tout rentre dans l’ordre. Mais la leçon avait porté. A chaque coup de frein, mon père étendait son bras à l’horizontale me maintenant ainsi « clouée » à mon siège. Mon papa me protégeait, je ne risquais plus rien. Pas de nouveau vol plané.
Le train s’arrête à Bram où je me souviens à peine avoir changé de train. Les paysages défilaient, les gares desservies, et nous finissons par arriver à Carcassonne. Nous prenons place dans la salle d’attente et maman, consciencieusement, déplie sur une table les serviettes bleues, à carreaux, un très joli bleu. Elle extrait de la panière… des merveilles ! Elle avait partagé dans le sens de la longueur un pain dans lequel elle avait étalé en son centre une omelette baveuse dont l’odeur attisa notre faim. Le « jus » avait été « bu » par la mie. Quel régal ! Mais quel régal !! J’en salive encore. Et c’est la « vraie vérité » comme disent les enfants. Inoubliable, l’omelette de maman bien emmaillotée dans le pain détrempé et si goûteux… un vrai plat de roi.
Et là nous avons attendu. Mais attendu quoi ? Simplement le train qui allait nous transporter à Verzeilles où Tonton et Tatie nous attendraient sur le quai. Le train n’allait pas à Saint-Hilaire car à Verzeilles il bifurquait vers Limoux.
Verzeilles ! Le train stoppe. Tonton et Tatie étaient sur le quai. Je me jette dans leurs bras. Ils étaient heureux et si démonstratifs ! Mais quel est l’enfant qui n’aime pas être embrassé, qui n’apprécient pas les compliments qu’ils savaient si bien me faire : « Comme tu es jolie ! Tu as de belles anglaises ! Ta robe est fort belle ! » J’étais fière. Je nageais dans un océan de tendresse… le roi n’était pas mon cousin !
Tonton et Tatie étaient venus avec la bicyclette noire de Tonton. Et nous nous mettons en piste, la panière de maman bien arrimée sur le porte-bagages, et moi assise sur la barre transversale du vélo.
La caravane démarre, car pour atteindre notre but, il restait encore quatre kilomètres à parcourir pour les grands. Moi, enfant, j’étais transportée. Cette bicyclette était un vrai carrosse. J’en éprouvais une bien grande fierté. Et moi, vraie petite princesse, j’appréciais la caresse de Tonton sur ma joue.
Puis Saint-Hilaire et son clocher apparurent. Il était 18 heures. Quelle équipée ! … et tant d’amour dispensé !
Eté 1940
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