Actualités : C'était leur travail

Bernard Cnoquart

C'était leur travail
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C'était leur travail
Par Bernard Cnoquart

Durant mon enfance, au creux de notre maison
On parlait bien souvent du travail des parents,
De cette industrie particulière, fleuron de cette région,
Jadis si prospère mais qui n’a su lutter face à ses concurrents.
Je veux parler de ce travail qui était artisanal,
Car c’était les mains de l’homme et tout son savoir faire,
Qui partant d’une corne créaient cet objet original,
Ce joli peigne naturel qui était bien nécessaire.
Mon père m’a souvent dit, que dès quatorze ans,
Le lendemain de son certificat, il  est rentré en apprentissage,
Sans contrat, avec seulement l’accord de ses parents,
Pour apprendre ce dur métier, bien loin d’un enfantillage.
Maman, durant notre bas âge, travaillait chez les particuliers,
Elle faisait des ménages, lessives et nombreux tricotages,
Et si durant un temps, elle a été ouvrière à la filature Jouret,
Elle a vite rejoint Papa à la coopérative, sans manquer de courage.
Je les revois, tous les matins juchés sur leur vélo,
Pour rejoindre cette usine devenue maintenant La Lausade,
Ce bâtiment en pierres, sombre et quelque peu vieillot,
Et qui fut le théâtre pour eux d’une longue croisade.
Combien d’années ont-ils passées dans ce bruit infernal,
Recouverts de poussière et remplis de cette odeur tenace,
Avec ce simple poêle ne pouvant réchauffer le froid hivernal,
Parmi les meules, scies et courroies, véritables menaces.
Maman, avec le fichu sur la tête et son tablier défraîchi,
Travaillait sur l’unique machine automatique, la stadeuse,
Elle plaçait les peignes dégrossis et réalisait la denture avec minutie,
Et pour une finition soignée, elle était aussi souvent perleuse
Quant à Papa, il passait des longues journées, penché sur la meule,
Les doigts souvent en sang protégés par des morceaux de caoutchouc
Vaillant, toujours plein d’énergie, bien loin d’être veule,
Pour façonner des quantités de peignes, des camelles et camellous.
Il était planeteur, payé à la tâche, au rendement produit,
Et le soir, autour de la table, il nous racontait sa journée,
Je suis épuisé, j’ai fait dix grosses aujourd’hui,
Soit douze cent peignes, malgré la quantité, il n’était pas fortuné.

Les salaires étaient bien maigres gagnés à la force des poignets,
Et ils attendaient le quinze pour toucher leur quinzaine,
Et bien souvent Papa, le dimanche et pour quelques billets,
Allait au Présent ou chez Delpech terminer sa longue semaine.
J’allais souvent les voir dans cet atelier, ils étaient méconnaissables,
Et avec cette poussière en suspension ils avaient les yeux rougis,
Tous unis, ouvriers et  patrons comme les animaux de la fable,
Travaillant sans relâche, méritant surement le paradis.
Dans le bruit strident des meules, j’observais le travail des ouvriers,
Le marqueur qui avec ses gabarits profitait du maximum de surface,
Le scieur découpant cette corne avec dextérité, sans dévier,
Pour que la stadeuse façonne les dents d’un tour de passe-passe.
Les mains plongées dans la boue grise, je n’enviais pas le ponceur,
Il nettoyait les peignes sur une meule garnie de lourds tissus,
Mais pour un brillant éclatant, il y avait le polisseur,
Et avec la peau de chamois, il ne manquait pas d’astuces.
Ils étaient une vingtaine car il ne fallait pas moins de 16 opérations,
Pour que d’une corne de vache sorte un objet singulier,
Certains ouvriers polyvalents assuraient plusieurs fonctions,
Mais d’autres étaient qualifiés pour un travail bien particulier.
C’était le cas des biscayeurs, qui assis devant un fourneau ardent,
Les bras nus et suant à grosses gouttes, se servant d’une serpette,
Découpaient cette corne en forme hélicoïdale avec talent,
Pour qu’avec la chaleur du feu, elle devienne bien plate et nette.
Avec ces longues pinces, il fallait être rudement costaud
Pour ouvrir ses cornes venant d’Afrique du Sud ou d’Argentine,
Et pour serrer la presse à plateaux, ce n’était pas non plus cadeau,
Pour ces hommes fiers de leur métier et dévoués à leur usine.
Privilégiés devant leur foyer lors des longues journées d’hiver,
Quelles souffrances devaient ‘ils endurer durant les mois d’été,
Mais dans cette braise, souvent cuisaient les pommes de terre
que Maman ramenait à midi et que nous mangions à satiété.
Papa jusqu’à son départ à la retraite, toujours avec passion,
A uniquement travaillé dans cette industrie si particulière,
Quant à Maman, suite déjà à une délocalisation,
C’est en pointant au chômage qu’elle a terminé sa carrière.
Pourtant si usés, ils n’ont jamais dénigré cette activité,
Et qu’elle fierté de montrer et d’offrir aux amis,
Quelques peignes fabriqués de leurs mains avec habilité,
Des peignes de toute forme, cadeaux de toute une vie.

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