Actualités : Les ouvriers du textile

Fermer
Imprimer

Les ouvriers du textile

Émilie Allabert
Les ouvriers du textile

Les ouvriers du textile
Émilie Allabert

Ce sont des millions de mètres de tissus qui ont été fabriqués entre la fin des années 1940 et le début des années 1990 dans le Pays d’Olmes. Ce fut l’âge d’or de cette industrie
Les usines étaient disséminées le long de la vallée du Touyre et des ateliers où « tapaient » des métiers à tisser jalonnaient bon nombre de rues, de lieux, de villages.
Tissage, ourdissage, nouage, filetage, rentrayage, apprêts… autant de mots passés dans le langage courant des habitants du Pays d’Olmes.
Chaque famille avait un lien direct ou indirect avec cette industrie, l’ouvrier textile était au centre de cette production : tissu d’habillement, d’ameublement, technique, automobile, bonneterie, moquette. Toute cette énergie se trouvait dans le Pays d’Olmes.

La fierté des ouvriers de posséder ce savoir-faire très technique s’apprenait, pour une bonne part, par transmission orale : les anciens donnaient avec des gestes mystérieux les petits secrets pour « apprivoiser » une machine, économiser des gestes, améliorer la beauté du produit fini

Dans chaque usine on retrouvait la solidarité et l’entraide entre ouvriers. Les syndicats étaient puissants et par leurs interventions parfois très fortes, les revendications avançaient : tous les ans, les négociations salariales permettaient des augmentations de salaire (certes minimes) et des améliorations des conditions de travail. Les Comités d’entreprises financés par un pourcentage de la masse salariale organisaient le volet social des salariés et des retraités : vacances, cadeaux de Noël, mutuelle de santé, coopérative d’achats
Toute cette politique était tournée vers le bien-être des employés textile
Pour cela le dialogue social était primordial et au cœur des relations avec l’employeur. Si des grandes grèves ont parfois déstabilisé la ville, il en est souvent ressortis des aspects positifs pour les ouvriers : 13° mois, aménagement des locaux (réfectoire, douches,….). Rien n’a jamais été donné, il a toujours fallu « aller le chercher »

Bien entendu c’est de par la volonté farouche des patrons du textile qui avaient imposé dans les années 1950 cette mono-industrie que les salaires restaient bas. Le travail en équipe était la norme : 4 h – 12 h pendant une semaine puis 12 h – 20 h la semaine suivante
L’équipe de nuit restait fixe : 20 h – 4 h. Ces horaires anachroniques qui détruisaient la santé étaient compensés par des salaires plus élevés (+ 33 %)
Ce n’est qu’en 1959 que la scolarité des enfants a été obligatoire jusqu’à 16 ans. Jusque là juste après le certificat d’étude, bon nombre de fils d’ouvriers rejoignaient l’usine où travaillaient leurs parents ; avec un salaire plus bas et des conditions plus dégradées que leurs aînés

Tout au long de ce demi-siècle on a vu se féminiser la profession : des ateliers de femmes promues à des tâches ingrates ; filetage, rentrayage, visite… où elles devaient rechercher 8 heures durant les défauts sur le tissu usant leurs yeux et leurs mains pour un salaire moins élevé que leurs compagnons. Les métiers nobles étant, eux, réservés aux hommes : tissage, ourdissage, nouage, apprêts

La solidarité jouait également dans l’accueil des émigrés venus d’abord des pays du sud puis du sud asiatique. Ce sont dans ces ateliers qu’ils apprenaient à parler français. Les syndicats, le Comité d’entreprise les aidaient à s’intégrer dans la société française. Cela représentait une grande famille avec ses joies, ses disputes et surtout l’entraide

Chaque jour dans Lavelanet, on voyait passer ces hommes et ces femmes qui rejoignaient leur lieu de travail : encombrements, embouteillages à l’heure du relevage des équipes. Certains couples travaillant à contre-équipe amenaient leurs enfants dans la voiture pour les confier à l’autre parent qui avait fini sa journée !

Lavelanet était une ruche, le taux de chômage était très bas. La ville s’inscrivait bien dans ces cités industrielles où le travail était une valeur d’émancipation et où les gens sentaient bien qu’ils étaient utiles à la production française et ce, malgré des conditions de travail parfois très difficiles.
Le travail dans les filatures était particulièrement pénible mais également dans les ateliers de teinture où les produits chimiques étaient souvent manipulés sans beaucoup de sécurité.

L’industrie textile a été le fleuron du Pays d’Olmes et chacun y a contribué. C’est notre patrimoine et nous en sommes fiers car il a forgé notre devenir

L’abandon des politiques industrielles par les gouvernements successifs ont permis aux capitaux financiers de s’accaparer de ces richesses. L’arrivée des grands groupes internationaux dans le Pays d’Olmes pour s’emparer des savoir-faire ancestraux a tout laminé et a conduit à la fermeture de quasi toutes les usines du territoire
Malgré les grèves et occupations des années 1989 et 1990, les ouvriers du textile ont dû « rendre les armes » mais ils ont lutté jusqu’au bout avec beaucoup de courage

Aujourd’hui, 30 ans après, le Pays d’Olmes se relève de ce séïsme. Beaucoup « d’anciens » du textile ne sont plus là pour en parler mais les friches disséminées un peu partout nous rappelle la richesse de ce terroir faite par les hommes et les femmes qui en gardent une fierté au fond de leur cœur.