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À Laroque d’Olmes, sur la façade de l’école (...)

Martine Rouche
À Laroque d’Olmes, sur la façade de l’école (...)

À Laroque d’Olmes, sur la façade de l’école Joliot-Curie :
un épitomé de ce qu’est le patrimoine…

Martine Rouche, guide-conférencier

Cet ensemble sculpté en grès, en bas-relief pour le décor, en demi-relief pour l’allégorie de l’École de la République et la petite fille, date de 1953, sous la mandature d’Urbain Rouch. L’œuvre porte les deux noms de Paul Manaut (1882-1959) et d’Yvonne Gisclard-Cau (1902-1990), sculpteurs languedociens par excellence : il est né à Lavelanet et mort à Chalabre, elle n’a jamais quitté Carcassonne.

La symbolique est à la fois dans la forme et dans le fond : le contour du bas-relief évoque le profil des usines textiles aux toits dits « en sheds (1) », que l’on voit dans tout le Pays d’Olmes. Le fond de la scène sculptée représente, de façon dense et graphique, l’histoire de Montségur : le pog (2), l’assaut de l’armée sur le flanc senestre, et, sur le flanc dextre, un berger et son troupeau de moutons. Cet élevage est à l’origine de l’industrie textile largement représentée dans la partie inférieure, avec métiers à tisser, bobines, tissus, rouages et navettes. La partie supérieure, narrative, est structurée par le pog de Montségur. La partie inférieure, qui accentue les lignes et effets géométriques des machines textiles, se rapproche d’un constructivisme atténué.

Sur ce fond d’histoire collective, passée et présente, se détachent deux personnages, de façon forte et spectaculaire : une petite fille debout, un livre ouvert dans les mains, près d’une femme vêtue à l’antique, assise, un rouleau de parchemin dans ses propres mains. Allégorie de l’École de la République, cette figure tutélaire montre que tous les enfants peuvent accéder au savoir. Sa position assise suggère que l’École a le temps et la patience d’enseigner. La petite fille, par sa station debout, et sa ligne verticale, va grandir, et grandir bien grâce à l’école. De façon clairement laïque et républicaine, Paul Manaut reprend ici l’image traditionnelle de sainte Anne, assise, apprenant à lire à Marie, petite fille, généralement debout près d’elle. Cette représentation pouvait ainsi être comprise et acceptée de chacun. Tous les bas-reliefs ou demi-reliefs de Paul Manaut, ou de Paul Manaut et Yvonne Gisclard-Cau, visibles en Pays d’Olmes, donnent à voir, sous forme de prolepse, le double registre de l’histoire fondatrice de Montségur et de l’industrie textile séculaire, avec les mêmes partis pris pour la géométrisation de l’espace et les personnages et éléments représentés.

Les réserves du Musée des Beaux-Arts de Carcassonne conservent la maquette de ce groupe sculpté : comme souvent, on note une intéressante évolution formelle et stylistique entre maquette et œuvre définitive. La maquette, plus consacrée aux deux figures de la fillette et de l’allégorie de l’École, les montre assises devant un métier à tisser suggéré ; le décor supérieur dessine la silhouette si reconnaissable de Montségur, sommé du rempart et des tours de la forteresse, des sapins et une armée montant à l’assaut de ses flancs. La ligne supérieure se découpe selon les sommets des montagnes et le haut du fort. L’œuvre aboutie, plus vaste, plus ambitieuse, plus riche, plus moderne, matérialise le travail de réflexion, d’épure et d’enrichissement de la sculpture, mené par Paul Manaut et Yvonne Gisclard-Cau.

En quoi ce panneau sculpté peut-il être considéré comme un épitomé de ce qu’est le patrimoine ?
En une œuvre, ici sous forme de bas-relief et demi-relief, les deux artistes donnent à voir le condensé de l’histoire du Pays d’Olmes, dans son passé, avec Montségur et la fin tragique de ses derniers occupants assiégés,  avec aussi la présence du berger et de ses moutons, dont la laine est à l’origine de la grande tradition textile de Laroque et du Pays d’Olmes. Avec le passé, est aussi raconté le présent, puisque le paysage industriel et ses usines, même en friches, restent aux yeux de tous. De ce passé et ce présent associés, liés par les figures de la fillette et de l’École de la République, doit naître l’avenir, riche des périodes antérieures et respectueux de leurs traces.

« Toutes les anciennes sociétés humaines historiquement situables le sont principalement par l’étude des monuments sculptés qui nous sont parvenus. Certaines le sont exclusivement par ce moyen. »
René Iché, sculpteur, Premier manifeste fondateur du Syndicat national des sculpteurs et plasticiens, 19 novembre 1949.

 

(1) : Shed : ce mot anglais, qui signifie hangar, est improprement utilisé pour parler des toits d’usine au profil caractéristique. Toit en dents de scie, ou toit à redans [ou redents] partiels conviendrait mieux. En Angleterre, les toits d’usine avec ce profil, sont appelés Northlight roofs, rappelant ainsi que les deux pans de vitres utilisent au mieux lumière du Nord constante et lumière du Sud momentanée.

(2) : Pog, pech : mots occitans désignant une hauteur, une colline.